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Nous sommes de nombreux parents à nous inquiéter en voyant nos adolescents passer des heures sur leurs lits, mais pas forcément pour y dormir et nous nous demandons ce que ça peut générer, ce que cela peut empêcher ou favoriser.
J’ai interviewé le Docteur Rey, neurologue, ancien responsable du centre du sommeil à l’hôpital de la Timone à Marseille et actuellement président de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance.
La transcription de notre échange est ci-dessous.
Vous trouverez également le lien vers le site l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance avec de nombreuses ressources sur le sommeil.
Bonjour Docteur, je voulais aujourd’hui parler avec quelqu’un de très sachant à propos du sommeil des adolescents. On est de nombreux parents à se poser la question en voyant nos adolescents passer des heures sur leurs lits, mais pas forcément pour y dormir et on se demande ce que ça peut générer, ce que cela peut empêcher ou favoriser ? Aujourd’hui on essaye de trouver des réponses avec vous. Je vais commencer par vous demander de vous présenter.
Bonjour, je suis le docteur Rey et j’ai été responsable du centre du sommeil à l’hôpital de la Timone à Marseille. Je suis neurologue et actuellement je suis président de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance qui est un institut qui regroupe l’ensemble des forces de sommeil, c’est à dire des sociétés savantes, des associations de patients pour promouvoir le sommeil à la fois auprès du grand public mais également auprès des institutions. Parce que souvent, au niveau des institutions, on a eu du mal à comprendre l’importance du sommeil et donc cela fait partie de notre force d’avoir été un peu écoutés ces derniers temps, en particulier par la Direction générale de la santé et l’Éducation nationale.
Est-ce que vous pourriez nous éclairer sur ce qui se passe à l’adolescence vis à vis du sommeil ? Est ce qu’il y a des choses physiologiques qui se passent, qui perturbent ce sommeil profond qu’ont nos petits enfants ou ce besoin de sommeil qu’ont nos enfants ?
Tout à fait. L’adolescence est une période de réorganisation des rythmes parce qu’il apparaît de nouvelles hormones qui sont les hormones sexuelles et qui elles mêmes vont avoir un rythme, pas seulement chez la jeune femme jeune fille, ou là c’est plus évident, mais également chez le jeune homme. Et cette remise en phase, cette apparition d’un nouveau rythme hormonal va devoir s’intégrer avec l’ensemble des rythmes biologiques qui nous constituent, donc dont le rythme veille-sommeil. Et donc, il y a un important remaniement du rythme veille-sommeil à l’adolescence.
Donc ça veut dire que je crois que c’est la mélatonine qui favorise le sommeil est perturbée par ces autres hormones qui prennent un peu sa place.
Tout à fait, on observe à l’adolescence un retard physiologique de la sécrétion de la mélatonine. La mélatonine, c’est l’hormone de la nuit, elle est sécrétée quand il fait noir et c’est pour ça que nous sommes des animaux diurnes. C’est à dire qu’on est réveillés la journée et qu’on dort la nuit. Et à l’adolescence, ce signal qui est le moment de dormir est décalé. Et c’est pour ça que très naturellement, l’adolescent va avoir tendance à avoir des difficultés à s’endormir le soir.
Et à se réveiller aussi. D’après ce que j’ai compris, c’est ça, il y a un espèce de décalage horaire?
Complètement et donc ils vont avoir tendance en effet à faire la grasse matinée beaucoup plus facilement que plus tard, quand on aura fini l’adolescence et que tous ces rythmes hormonaux ont repris leur cours plus habituel. Cette espèce de grande modification va entraîner un décalage. Un des problèmes auxquels on est confronté, c’est que notre société favorise le décalage, donc des couchers tardifs. Et donc bien entendu, va augmenter cette tendance physiologique au décalage chez adolescents. Malheureusement, on les attend en classe à 8 h à peu près, donc ça veut dire qu’ils n’ont pas de grasse-mat la semaine.
Qu’est ce que ce manque de sommeil va générer, à part leur mauvaise humeur, en matière d’apprentissage et ce qu’on pourrait appeler de réussite scolaire ?
Alors le sommeil est un instant privilégié pour consolider ce que vous avez appris dans la journée. En 20 ans, on a largement étayé ces données. Et donc, si vous n’avez pas dormi assez, vous n’avez pas consolidé assez et donc vous avez oublié ce que vous avez fait dans la journée. C’est ce que j’explique très régulièrement à mes étudiants que bachoter toute la nuit pour réviser un examen est parfaitement illusoire, car je ne vais pas consolider ce que je vais apprendre. Et le lendemain, à l’examen en plus, je serai fatigué. C’est à dire que ce que j’avais appris dans la journée d’avant, ce que j’avais appris éventuellement la veille au soir, mais pas en me couchant très tard, va être non consolidé et donc je pourrais pas m’en servir. Donc, il est très important avant vraiment d’essayer de passer une bonne nuit.
Par contre, le fait de relire son cours le soir, est ce que c’est une bonne méthode ?
Oui, c’est une bonne méthode parce que vous allez en effet réactiver vos systèmes de mémoire et donc le sommeil va les consolider puisque vous venez de les apprendre. Oui, c’est quelque chose très important. Et donc le sommeil est quelque chose de capital à la fois pour le fonctionnement de notre cerveau. Avec cet apprentissage, le fait d’être en manque de sommeil fait qu’on a du mal à se concentrer et donc on voit très bien à quel point le manque de sommeil fait que j’ai du mal à apprendre et j’ai du mal à consolider. Donc c’est sûr qu’on comprend tout à fait l’échec scolaire des gens qui ne dorment pas assez. Et donc l’avenir n’est pas forcément à ceux qui se lèvent à l’aube, en particulier chez l’adolescent, ça, ce n’est pas possible. Et puis il faut voir que, comme vous l’avez dit, le manque de sommeil a aussi des répercussions sur notre notre humeur, sur notre anxiété. Donc on est beaucoup plus anxieux. Donc vous êtes beaucoup plus stressé pour passer un examen. Si vous manquez de sommeil, vous êtes beaucoup plus triste et vous vous sentez beaucoup plus nul parce que vous manquez de sommeil. Parce qu’en fait, vous avez envie de faire que de dormir. Et donc ce manque de sommeil a des répercussions sur notre santé mentale qui est très importante. Mais ça a également des répercussions sur notre santé physique. Avec deux grandes découvertes au fil des dernières années, c’est d’une part le fait que manquer de sommeil favorise l’obésité. Ça vous fait grossir. Alors que si on a une nuit où on manque de sommeil, une nuit blanche, on vit le jour, on a plutôt tendance à maigrir. Mais par contre, la privation chronique de sommeil, le manque chronique de sommeil va favoriser l’obésité, favoriser le diabète. Et puis, dans un autre domaine, ça va diminuer l’efficacité de notre système immunitaire. Donc on fera plus facilement des infections si on manque de sommeil.
Donc un gros impact sur la santé, en plus de cette capacité à mémoriser et à régénérer le cerveau, ou en tout cas entretenir le cerveau. Les jeunes à cet âge-là sont dans une optique de tester plein de nouvelles choses dans leur vie. Donc ils peuvent être tentés de commencer à fumer, de boire de l’alcool, de tester d’autres substances qui peuvent être nocives. On imagine qu’ils sont aussi beaucoup sur leurs téléphones portables, les écrans, les séries, etc. Qu’est ce que tout ça a réellement comme impact sur la qualité du sommeil ?
C’est quelque chose de très important parce que c’est vrai que l’adolescence est une période dans lequel on va avoir des difficultés d’endormissement puisqu’on est beaucoup plus du soir. Et très souvent, on a du mal un peu à démarrer le sommeil et on se rend compte qu’un certain nombre d’adolescents vont avoir tendance à boire ou à fumer du cannabis pour favoriser l’endormissement, ce qui est tout à fait préjudiciable parce que le sommeil derrière est de très mauvaise qualité. Et donc on a l’impression d’améliorer les choses, et en fait on améliore pas du tout les choses, et on a un sommeil de mauvaise qualité derrière. Et donc il vaut beaucoup mieux avoir une activité diurne intense qui va favoriser le sommeil plutôt que d’avoir une faible activité diurne qui va bien entendu perturber le sommeil. Un deuxième point important, bien entendu, ce sont les écrans, qui fait que les écrans sont enrichis en lumière bleue. Et cette lumière bleue, c’est la lumière du ciel le matin. Et à ce moment là, la mélatonine arrête sa sécrétion du fait que c’est levé puisque la mélatonine est sécrétée quand il fait nuit, quand il fait noir et donc lever de regarder un écran va encore décaler la sécrétion de mélatonine. Alors il est très important q’u’il y ait une espèce de couvre feu digital avant d’aller se coucher de façon à ne pas augmenter ce retard dans la sécrétion de mélatonine.
On sait que pour certains étudiants ont beaucoup de travail et que c’est compliqué pour eux d’arrêter les écrans à 20 h. Est ce que les lunettes qu’ils pourraient porter avec les protections font un vrai filtre, sont utiles ou est ce que ça c’est pas suffisant, en tous les cas pour empêcher la mélatonine ?
C’est utile, mais c’est déjà une utilité assez limitée. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’adolescent ne va pas pouvoir se coucher à 20 h. Donc éventuellement on va laisser un certain nombre d’écrans parce qu’en plus on a augmenté de façon considérable l’usage des écrans, ne serait ce que pour travailler. Donc on ne peut pas dire à l’adolescent » il ne faut pas que tu fasses des devoirs sur écran » parce que ça va être compliqué. D’autre part, c’est vrai que c’est un lieu d’échange, mais il nous semble important qu’on ne passe pas directement des écrans au lit pour dormir parce qu’à ce moment là, on va sentir une insomnie, une difficulté à s’endormir et ça va être très affolant. Donc il faut prévoir un temps calme entre le moment où on décide cet arrêt des écrans, d’arrêter les stimulations parce que les écrans, non seulement on les regarde, mais on entend la musique et puis éventuellement on bouge avec nos mains et donc on est très stimulé devant un écran. Et parce qu’on écrit, on répond. En plus très souvent, les adolescents ont deux écrans, d’une part le téléphone portable sur lequel ils répondent et puis un écran d’ordinateur sur lequel on regarde un film. Donc il faut arrêter cette sur-stimulation et essayer de lire ou écouter de la musique, mais de faire une activité que j’appelle mono sensorielle. Parce que si vous n’avez que les yeux qui sont stimulés, ça permet d’endormir toute la partie du cerveau qui décode les sons et puis d’endormir la sensibilité du corps. Donc ça, ça me semble être quelque chose de très important qu’il y ait une activité mono sensorielle pendant au moins une heure avant de chercher à s’endormir.
Le changement de rythme entre la semaine et le week end. On peut imaginer que nos enfants la semaine ne dorment pas suffisamment parce qu’on les réveille le matin. Est ce qu’il est préférable de les laisser dormir à satiété ? On va dire le week end ? Ou est ce que ce changement de durée de sommeil est finalement néfaste ?
Alors ce changement n’est pas néfaste, mais c’est son organisation qui est néfaste. Quand on arrive à faire des grasses matinées tellement longues que la matinée n’existe plus et à ce moment là on a de véritables inversions. C’est à dire qu’on dit à l’adolescent « demain c’est dimanche, donc tu vas pas en classe, donc tu peux te lever tard », donc il va se coucher encore plus tard, il va se lever excessivement tard et éventuellement en fin de matinée, voire début d’après midi et après le soir on lui dit « mais demain tu vas en classe, alors il va falloir que tu te couches tôt », il ne va pas pouvoir dormir. Et il croit du coup que ses systèmes de sommeil sont cassés. Donc ce qu’il faut faire pour éviter ça, c’est que la matinée existe toujours. Donc j’invite les parents à ouvrir la chambre de l’adolescent pour que la lumière du jour puisse pénétrer à partir de 10 h 30 le dimanche, quitte à ce que l’adolescent fasse une sieste en début d’après midi avant 15 h, ce qui est tout à fait différent au point de vue rythmique et qui sera beaucoup mieux parce qu’ils pourront dormir le soir alors que si ils font une grasse matinée jusqu’à 15 h, ils auront du mal à s’endormir le jour.
J’ai lu sur votre site que j’ai trouvé passionnant. D’ailleurs on mettra le lien dans les notes de l’épisode, que le lit était le symbole du sommeil pour notre cerveau et que quand on voit nos adolescents qui ont peut être des grandes choses mais qui ,en fait, n’exploitent que les deux mètres carrés de leur lit, pour faire leurs devoirs, leurs coups de fil, leurs séries sur leur lit. Je me dis que là on est peut être pas dans le vrai avec ce sujet là.
C’est tout à fait exact et il faut continuer à essayer d’avoir une un bon conditionnement entre le lit et le sommeil. C’est difficile en effet à l’adolescence, parce que c’est vrai que les chambres ne sont pas très ne sont pas très grandes et donc il va être très compliqué, c’est sûr que si vous avez deux pièces pour un adolescent, c’est merveilleux. Il aurait une pièce dans lequel il jouerait, il serait sur les écrans et puis une pièce qui serait sa chambre où il dormirait. Mais il faut quand même essayer de faire en sorte que l’espace de la chambre soit organisé pour qu’il ne soit pasau lit toute la journée. Parce que le lit, il faut que ça reste associé au sommeil. Alors le problème, c’est que les parents eux mêmes ont tendance aujourd’hui à aller au lit avec un écran. C’est ce que nous avions montré l’année dernière. Nous avions quand même 60 % des parents qui allaient au lit avec leur téléphone portable ou avec une tablette ou un ordinateur portable. Et un quart de ces 60 % rester jusqu’à une heure et demie. Alors c’est quand même un peu difficile de dire à un adolescent de ne pas faire comme papa et maman, donc il faut que ce soit une discipline familiale. Donc il faut que le lit soit l’endroit où l’on puisse éventuellement lire. Et éventuellement vous pouvez écouter de la musique, mais essayez d’éviter d’associer le lit et l’écran. Ça, c’est quand même une bonne chose.
J’ai fait un peu le tour des questions que j’avais préparées, mais peut être que vous, vous avez quelque chose à ajouter sur ce sommeil de l’adolescence qui serait utile pour les parents qui nous écoutent.
Je crois qu’il faut valoriser le sommeil. Et notre société ne le valorise pas et elle ne le valorise pas de deux façons. D’une part en nous disant que c’est une perte de temps, que l’avenir est à ceux qui se lèvent tôt, ce qui est quand même une ineptie pour les adolescents. Ils se disent on perd notre avenir parce que on a envie de se lever tard, donc c’est quand même pas un bon signe. Donc il faut leur expliquer que le sommeil, c’est quelque chose qui leur est très utile et qui est très agréable à condition qu’ils dorment suffisamment parce que pendant le sommeil, on rêve. Et ces rêves, c’est très intéressant de les raconter. Il y a plein de cultures dans lequel on commence la journée en racontant ses rêves et c’est sûr que si vous ne dormez pas assez bien, vous avez de moins en moins de rêves. Et l’adolescence est quand même un moment très privilégié dans lequel on va avoir des rêves très bizarres, des curieux, mais qui sont parfois très créatifs et qui témoignent aussi de notre vie diurne et comment on la métabolise la nuit. Et donc il faut at tirer l’attention des parents sur le fait que le sommeil peut être un moment tout à fait créatif et ce n’est pas une perte de temps. Et si, mais il faut bien entendu que les parents aiment le sommeil. Et donc c’est très important que les adolescents voient que leurs parents aiment dormir. S’ils voient que leurs parents n’aiment pas dormir, ça va être difficile qu’ils aiment, non ?
Très intéressant. Merci beaucoup en tout cas pour ces explications et ces conseils très pratiques applicables. Et j’ai bien retenu le fait de montrer l’exemple que je vais m’appliquer moi même tout de suite sans faire la sieste quand même parce que j’ai d’autres choses à faire. Merci pour ce partage.
Renseignez-vous auprès de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance : association loi 1901 qui regroupe des personnes physiques et morales œuvrant dans le registre de la prévention, sensibilisation, éducation à la santé, sommeil, vigilance.
Ce contenu vous est proposé par un membre de la Communauté d’experts AZIMUT : Docteur Marc REY, président de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance
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